MÉDITATIONS DU VENDREDI #2 : « DIXIÈME STATION »

Dans notre 2ème méditation de vendredi de carême pour nous préparer à l’ostension de la Sainte Tunique de Jésus, j’aimerais que nous puissions ensemble nous pencher sur la symbolique du vêtement dans la Bible puis essayer de comprendre le sens de la Xème station du chemin de croix : « Jésus est dépouillé de ses vêtements ».

Tout d’abord, il nous faut retourner aux origines. L’Écriture nous présente le premier couple humain vivant dans l’innocence et la nudité. Le corps lui-même est lieu de grâce et nulle ombre, nulle domination, nulle soumission ne le pousse à la honte. Puis vient le moment de la honte de cette nudité après le premier péché : l’homme se cache et Dieu l’appelle : « Adam, où es-tu ? » L’homme a comme quitté sa place, il n’est plus là, dans cette grâce originelle dans laquelle Dieu l’avait créé, lui et son épouse. Enfin, le 3ème acte de cette représentation originelle vient avec la confection par Dieu de tuniques de peau pour habiller l’humanité. Adam et Ève ayant découvert leur nudité en désobéissant à Dieu ont à présent besoin d’être recouverts. Leurs corps, auparavant enveloppé de gloire, est nu.

Ces tuniques de peau peuvent être différemment interprétées. Par exemple, certains pensent que Dieu les protège d’eux mêmes et de l’emprise absolue du corps sur l’esprit. D’autres estiment qu’on peut voir dans ces tuniques une préfiguration de l’Incarnation et de la Rédemption, où Dieu ayant pris sur lui la chair du péché, nous recouvre comme d’un vêtement de sa grâce, et ne nous abandonne pas à notre nudité, nudité du péché, nudité de notre séparation avec Dieu. La peau d’un animal (mort) évoque alors déjà le sang du sacrifice qui nous rend la vie et nous fait pénétrer dans la gloire. À noter que l’expression « tunique de peau » peut en changeant une petite lettre devenir « tunique de lumière » et qu’il y a d’après certain une possibilité de traduire ainsi. Dieu nous revêtirait alors de cette lumière qu’il est lui-même contre les forces du mal et des ténèbres dans lequel l’homme quittant l’Eden va entrer. On le voit, le vêtement apparaît dès le début de l’histoire du salut.

Dans les livres de la Loi, mais aussi chez les prophètes, les vêtements qui peuvent faire l’objet de longues descriptions (pensons à l’habillement du grand prêtre dans le livre de l’Exode ch. 28) sont soit de fête, soit de pénitence, soit de deuil. Perdre son vêtement, c’est perdre son statut, sa fonction mais aussi sa dignité et même son identité. Ainsi les captifs, les esclaves, les fous ou les prostituées ne disposent pas de leur vêtement, pas plus que d’eux-mêmes… Mais revêtir quelqu’un de son manteau est lui donner part à son pouvoir. Au contraire, attenter au vêtement du roi comme David le fit en découpant subrepticement un pan du manteau de Saül, est une manière de prendre un peu de son pouvoir ; couper cette frange équivaut à acquérir le pouvoir de disposer d’une personne dans l’avenir (1 Samuel 24:4-16). Le jeune David a pris le pouvoir sur le roi Saül, d’où le remords qui l’accable par la suite, mais il a également acquis la possibilité de démontrer concrètement ce pouvoir, d’abord à Saül, et au peuple tout entier.

L’évangile de Saint Jean nous livre un épisode assez significatif selon l’évangéliste pour qu’il nous le rapporte : les vêtements de Jésus ont été certes divisés après sa crucifixion, mais non point déchirés ou coupés : ‘Ne la déchirons pas, tirons plutôt au sort à qui elle ira’, se dirent les soldats qui le gardaient en parlant de sa tunique sans couture (Jn 19:24). Est-ce à dire que la Seigneurie de Jésus aura été préservée intacte, son vêtement n’ayant pas été coupé, même dans les moments les plus sombres de sa Passion ? On peut croire que Jean pensait à cela aussi en relatant cet événement qui aurait pu paraître insignifiant au moment même où Jésus, en croix, était en train de sauver le monde. Certes, Jésus s’est « abaissé » de sa condition divine lors de son incarnation (Philippiens 2). Mais sa Passion est décrite et interprétée par Saint Jean comme une glorification et une révélation de sa puissance. De même que Jésus fut revêtu après la flagellation de l’habit royal rouge et couronné d’épines, il était donc tout à fait juste que son vêtement n’y soit pas coupé. Les Romains l’humilient mais plus ils l’humilient, plus ils confessent qui il est vraiment : Il est Roi. C’est ce que dira Pilate : « Voici votre Roi ».

Nous voyons aussi dans cette Xème station du chemin de croix Jésus déshabillé, dépouillé de ses vêtements. De tout temps, lorsque des hommes veulent humilier d’autres hommes ou femmes, ils les privent de leurs vêtements… C’est dégradant à l’extrême et souvent annonciateur de sévices cruels et avilissants. C’est la condition de tant et tant d’hommes, de femmes et d’enfants à travers le monde, exploités pour leur corps dans des enfers sur terre qui attendent la lumière du crucifié. Jésus rejoint au cœur des ténèbres la longue nuit de ces personnes humiliées et exploitées.

Mais pourtant, en mourant nu, Jésus retrouve la condition même de l’homme créé bon dans la lumière et l’amitié de Dieu. Certes, ce corps nu et supplicié semble bien loin de la paix et de la sérénité d’Adam et Ève avant la faute, mais c’est une affirmation très claire de l’innocence totale et absolue de l’agneau sans péché qu’est le Verbe fait chair. Adam avait perdu sa belle nudité en désobéissant, Jésus la retrouve en se livrant totalement aux hommes et à la volonté de son Père qui est d’aimer les hommes « jusqu’au bout ».

Père Guy-Emmanuel Cariot, recteur

Méditation

Pour méditer cette semaine : Jésus, pendant sa passion, est crucifié au moment où les agneaux étaient sacrifiés au Temple. Il est « l’agneau » innocent, celui qui ne voit pas (ou ne veut pas voir) le mal venir. C’est ainsi qu’il nous « envisage », espérant toujours l’amour de sa créature et non le mal. Il attend de nous le bon, le bien, le vrai. Que cette semaine soit pour chacun l’occasion d’une profonde conversion de vie. Méditons sur le premier commandement tel que Jésus nous le livre : « 37Jésus lui répondit: Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de tout ton esprit. 38C’est le premier et le plus grand commandement. 39Et voici le second, qui lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même.… » (Mt 22, 37-39)

Prière de la semaine : Par ta Sainte Tunique, sauve-moi, Jésus !