Dimanche 18 mars 2018 : homélie de Mgr Stanislas Lalanne, évêque de Pontoise

évangile du jour : Saint Jean, 12, 20-33

Chers amis, j’imagine que vous êtes comme moi après avoir entendu la proclamation de cet évangile de Jean, nous trouvons qu’il nous prépare de belle manière à vivre la semaine sainte, en présence de la Sainte Tunique du Christ que nous vénérons tout particulièrement en ce dimanche. Passion du Christ, passion de l’Eglise…

Jésus nous livre la clé du mystère pascal, qu’il s’agisse de sa Pâque à lui ou de la pâque de l’Eglise, de notre pâque, à sa suite : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. »

Les sentiments du Christ, quand arrive cette heure de la passion, de la Croix et de la glorification, apparaissent contradictoires. A plus forte raison nos propres sentiments !

L’entrée dans cette heure est pour nous signe d’incompréhension, de révolte et de refus, voire de scandale.

De telles paroles ne peuvent être entendues que si l’on accepte de s’y engager, comme on s’engage dans un chemin étroit, dans une agonie, dans un combat. Sinon on reste dehors et l’on s’enfuit.

Ces paroles-là, pour quelqu’un qui n’est qu’un spectateur ou un auditeur du dehors, le laissent dans l’incompréhension totale, comme la foule, et il ne désire même pas comprendre.

Ces paroles ne sont pas facultatives. Elles ne sont pas « au choix ». Elles nous jugent.

De quoi est-il question qui nous déconcerte tellement ? Il s’agit de la mort du Christ et de notre propre mort. Il s’agit de tous les chrétiens qui, de par le monde, sont persécutés au nom de leur foi. Vous entendrez cet après-midi le témoignage du Père Jacques Mourad.

Quand le Christ annonce à ses disciples que le Fils de l’homme va souffrir, être mis à mort, les disciples ont une réaction de révolte et veulent l’en empêcher.
Ils font comme nous aurions fait si nous avions été à leur place.

Mais comment vivons-nous aujourd’hui notre propre mort ? Je parle de la conscience de la mort qui habite notre existence ?

Nous la vivons essentiellement comme une perte, comme ce qui détruit toute raison d’espérer et de vivre, comme une négation et une destruction.

Parfois, vous le savez, la mort prend un autre visage, séduisant et fascinant. Alors, surgit la tentation d’aimer la mort et de vouloir s’y engloutir : tentation de s’y enfoncer comme dans une délivrance.

Jésus, lui aussi, vit l’angoisse de ce seuil destructeur. Comment va-t-il nous présenter cette heure ?

Il la présente ainsi : « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. » Et la prière de Jésus, c’est : « Père, glorifie ton nom. » Et la voix du ciel répond : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »

Mais quel est le contenu de cette expérience déchirante où la parole semble faire défaut à Jésus ? « Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? »

Le contenu dont il est le porteur et le témoin dans l’espérance, c’est que le Père, dans sa bonté, soit glorifié, c’est-à-dire manifeste dans l’homme sa puissance de vie, sa sainteté, sa splendeur qui dépassent toute compréhension de l’homme.

Et nous savons bien que le Père des cieux n’est pas un Dieu des morts, mais le Père des vivants. C’est l’inverse de notre fascination de la mort, du néant.

En quelle occasion Jésus va-t-il faire cet aveu sur sa propre passion et sa mort ?

Précisément quand arrivent les signes de la fécondité de sa mission, grâce à ces quelques Grecs présents à Jérusalem.

Ces quelques Grecs sont des païens. Ils demandent à voir Jésus en s’adressant à Philippe qui est de Bethsaïde, pays où l’on parle grec.

Pour Jésus, c’est le signe annonçant que sa mission atteint son but. Il est en effet l’envoyé de Dieu pour le salut de tous les peuples, pour rassembler les élus choisis par Dieu parmi toutes les nations païennes.

Ces Grecs sont le premier signe que l’œuvre pour laquelle Jésus vient est en train de s’accomplir.

Déclaration alors de Jésus : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul. »

Le grain de blé, c’est lui. Cette tunique en est le signe, le témoignage.

Pour être vu de tous les peuples, pour être signe du salut de la multitude, il doit lui-même s’enfouir dans sa propre mort.

Il vit donc sa mort en communiant à notre angoisse et notre effroi, non comme une perte mais comme le chemin de la fécondité et du salut.

Il nous met devant cette vision incompréhensible, inimaginable pour nous. Non pas la fascination de la mort comme délivrance de la vie, mais la mort vaincue par la puissance de Dieu, le Vivant.

Il nous met devant un mystère beaucoup plus profond, incroyable, inconcevable, que le simple courage d’affronter la mort en silence et avec dignité.

C’est le mystère d’un salut qui vient de plus puissant que nous, incompréhensible, là où, pour nous, toutes les portes sont fermées.

Et que demande-t-il ? Pas de changer notre propre attitude devant notre mort. Non, il nous demande d’entrer dans sa mort. C’est tout à fait différent.

Nous pourrions dire : « Nous avons déjà bien du mal à supporter notre vie. Alors, si Dieu est bon, qu’il nous aide à vivre et qu’il n’en demande pas plus. »

Ce n’est pas cela que le Christ propose à ses disciples. Il ne nous dit pas : « Ayez du courage ; montrez-vous optimistes, cela ira mieux plus tard » !

Il nous invite à entrer dans son propre chemin, à marcher derrière lui. Non pas à nous préoccuper de notre mort, mais à prendre sur nous sa mort, à entrer dans sa vocation, dans ce à quoi il est appelé, lui.

Il ne nous adresse donc pas une parole générale sur la condition humaine, sur la vie et la mort, le bien et le mal, la société et l’homme.

C’est une invitation singulière, un appel déterminé à le suivre, lui, Jésus, dans sa singularité.
Il nous dit en effet : « Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. »

Et cette phrase vient juste après celle où Jésus commente sa propre mort : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. »

Comment entendre une telle parole ? Le grain de blé qui meurt en terre, ce n’est pas seulement le symbole de la Pâque du Christ, c’est le symbole de notre propre pâque, de la pâque de ceux et celles qui, aujourd’hui, sont persécutés au nom du Christ.

Et comment peut-elle être compréhensible pour nous ? Il faut nous rappeler la parole de Jérémie.

Dieu seul, et son amour, peut inscrire dans notre cœur, en nous donnant son Esprit, cette loi de vie, cette puissance de vie qui fait de nous, avec le Christ, un même pain, un même corps.

L’Esprit seul nous donne de comprendre comment ce monde, pétri par l’amour de Dieu, peut être sauvé quand le Christ, et tous ses frères en lui, acceptent de manifester dans leur vie cet amour qui est en Dieu et qui est la source de vie.

Passion du Christ, passion de l’Eglise. Amen.

Mgr Stanislas Lalanne, évêque de Pontoise