Sainte Tunique

MÉDITATIONS DU VENDREDI #3 : « NE LA DÉCHIRONS PAS »

« 23 La tunique était sans couture, tissée d’une pièce depuis le haut. 24 [Les soldats] se dirent entre eux : « Ne la déchirons pas, désignons par le sort qui l’aura », pour que l’Écriture soit accomplie : « Ils se sont partagé mes vêtements, et mon habit ils l’ont tiré au sort. »

En effet, la tunique ne sera pas déchirée ni partagée par les soldats. Une fois de plus, alors que nous nous trouvons au sommet des Écritures (n’oublions pas que lorsque Saint Jean raconte cet épisode, le Christ est déjà en croix), il peut nous paraître surprenant qu’il s’attarde à ces détails… À moins qu’il ne s’agisse pas de détails. On connait le sens de la précision chez Saint Jean et particulièrement à ce moment là, car seul parmi les disciples il était là. Pourquoi Saint Jean insiste-t-il sur le fait que la tunique n’ait pas été partagée ? Pourquoi insiste-t-il sur le fait qu’elle soit tissée d’une pièce de haut en bas ?

Depuis Saint Cyprien (IIIe s.), la tunique sans couture symbolise l’Église indivise qui vient de Dieu (« elle est tissée depuis le haut ») et ne doit pas être déchirée par les hommes. « Historiquement, cette lecture patristique a été inspirée par la conjoncture d’une Église que divisaient des conflits dogmatiques. Elle a connu un grand succès jusqu’à notre époque. Elle tient compte certes de la non-déchirure du vêtement, et l’unité des croyants est bien un thème johannique. » (Xavier Léon-Dufour in Lecture de l’évangile selon Saint Jean). Cette lecture traditionnelle reste très forte aujourd’hui. J’aimerais en ce 3eme vendredi de carême et de préparation à l’ostension, que nous puissions méditer ce mystère.

Quand on regarde la tunique aujourd’hui, on ne peut y voir la trace de couture. Elle est dite « inconsutile », c’est à dire sans couture. On ne peut oublier combien le thème de l’unité est cher à Saint Jean. Après la résurrection de Lazare (ch 11), les juifs avaient décidé de la mort de Jésus. L’intervention de Caïphe, le grand-prêtre, est décisive : « 49 Alors, l’un d’entre eux, Caïphe, qui était grand prêtre cette année-là, leur dit : « Vous n’y comprenez rien ; 50 vous ne voyez pas quel est votre intérêt : il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple, et que l’ensemble de la nation ne périsse pas. » 51 Ce qu’il disait là ne venait pas de lui-même ; mais, étant grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus allait mourir pour la nation ; 52 et ce n’était pas seulement pour la nation, c’était afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés. 53 À partir de ce jour-là, ils décidèrent de le tuer. »

Oui le sacrifice du Christ est orienté vers cette unité. Les bras ouverts sur la croix, le Fils de l’Homme embrasse l’Église de tous les temps. Il donne sa vie pour l’Église et à travers elle l’humanité. Il vient faire de l’humanité son Église et c’est sur la croix qu’il réalise cela. Au chapitre 17, lors de la grande prière qu’il fit devant ses apôtres au soir de la Cène, la veille, Jésus s’adresse au Père en disant : « 21 Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. 22 Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes UN : 23 moi en eux, et toi en moi. Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. »

Le modèle d’unité que Jésus donne n’est rien d’autre que l’unité dans laquelle il vit avec son Père. C’est dire l’enjeu immense de cette unité. On comprend alors la double affirmation « pour que le monde croie que tu m’as envoyé » et « afin que le monde sache que tu m’as envoyé » : cette unité est au service de la reconnaissance du Christ lui-même. À contario, toute blessure de cette unité est un obstacle à la reconnaissance de la nature divine du Christ, un obstacle à l’évangélisation. Au cœur du mystère pascal est enraciné le thème de l’unité.

Et la tunique ? On pourrait penser étrange, si ce thème est si important, que Jean reconnaisse dans la tunique ce signe de l’unité… Effectivement, quel sens donner au fait que Jésus soit dessaisi de ce vêtement, comme si il abandonnait cette unité… Comment relier cela au thème de l’unité ? On l’a déjà dit, le vêtement d’un homme est le symbole de son humanité. En laissant sa tunique, c’est son humanité qu’il accepte de livrer totalement. Il laisse comme témoignage concret de ce don total ce vêtement comme un symbole très fort de cette unité qui est un don. Et s’il existe des divisions entre chrétiens, (les vêtements partagés en quatre parts), l’Église est par nature une. C’est ce que nous confessons sans souvent le comprendre lorsque nous proclamons le credo : «  Je crois en l’Église, une ». Effectivement a-t-on déjà vu un corps divisé et encore vivant ?

Recevons donc comme un symbole très fort cette tunique d’Argenteuil, comme un don du Christ lui-même. En la vénérant dans un mois, nous contemplerons aussi cette volonté centrale du Christ révélée dans son mystère pascal.

Père Guy-Emmanuel Cariot, recteur

MÉDITATION

Pour méditer cette semaine : Dans le mystère révélé par cette non-division de la tunique, nous comprenons combien ce thème est au cœur de la volonté de Dieu. Je vous propose cette semaine deux axes de méditation et de conversion :

  • Comment servons-nous l’unité autour de nous ? Dans nos familles, paroisses, entreprises, quartiers ? Sommes-nous des germes de division ou d’unité ?
  • L’Église est une mais les chrétiens sont divisés. Pour comprendre cette unité, il faut bien comprendre ce que cela veut dire à propos de la Sainte Tunique qu’elle soit tissée du haut en bas : l’unité est un don à accueillir d’en-haut. Dire cela ne disqualifie pas les efforts concrets que nous pouvons mettre en œuvre pour l’unité des chrétiens mais il faut bien voir que cette unité nous précède. Comment l’accueillons-nous ?

Prière de la semaine : Par ta Sainte Tunique, sauve-moi, Jésus !